24 juin 2008
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par Grégoire Petit
"Avec la fille Le Pen mais sans la flamme du FN", c'est le titre que Djamel Mermat, chercheur à l'université Lille 2, a donné à son intervention lors du colloque du CECCOPOP du 6 juin dernier. Au premier abord, rien d'autre qu'une énième analyse du Front National et de ses paradoxes. Mais à y regarder de plus près, ce n'est pas un point de vue extérieur que délivrait Djamel Mermat ce matin-là, mais bel et bien les réalités internes. Il s'est infiltré au sein de l'équipe de campagne FN à Hénin-Beaumont : à la fois acteur (pour de faux) et observateur (pour de vrai). Enquête...
Infiltration réussie
Quelles leçons tirer de la campagne à Hénin-Beaumont ?
La main droite du diable
"Avec la fille Le Pen mais sans la flamme du FN", c'est le titre que Djamel Mermat, chercheur à l'université Lille 2, a donné à son intervention lors du colloque du CECCOPOP du 6 juin dernier. Au premier abord, rien d'autre qu'une énième analyse du Front National et de ses paradoxes. Mais à y regarder de plus près, ce n'est pas un point de vue extérieur que délivrait Djamel Mermat ce matin-là, mais bel et bien les réalités internes. Il s'est infiltré au sein de l'équipe de campagne FN à Hénin-Beaumont : à la fois acteur (pour de faux) et observateur (pour de vrai). Enquête...
Djamel Mermat, jeune chercheur en sciences politiques, de mère française et de père algérien, a soutenu sa thèse en 2005, sur les stratégies de changement du PCF. En 2006-2007, il décida de suivre les actions de la fédération Nord-Flandres du FN, à visage découvert et en affichant clairement ses projets de recherche. De son propre aveu, il batailla dur pour gagner petit à petit la confiance des militants : un soupçon de double-jeu en faveur d'un autre parti, ou le souci de "faire bonne figure" était toujours présent dans la tête de ses interlocuteurs.
Forcé de se cantonner à l'observation, il suivit deux élections majeures (présidentielles et législatives). Une fois les échéances nationales achevées, il décida aux alentours du mois de décembre 2007 de se pencher sur le cas d'Hénin-Beaumont avec, a priori, les mêmes objectifs et les mêmes méthodes.
Infiltration réussie
D'ailleurs, tout commença comme d'habitude : une prise de contact et un rendez-vous. C'est au cours de cet entretien, à la faveur d'un quiproquo, que Djamel Mermat fut recruté en se faisant passer pour sympathisant actif. Il intégra l'équipe de campagne FN d'Hénin-Beaumont, ville où Marine le Pen était N°2 sur la liste, ville de renaissance du parti en tant qu'acteur de gestion locale, ville fortement médiatisée où la liste FN aurait pu gagner.
Il le dit lui-même, il bénéficia pour cette infiltration inattendue, d'un peu de chance, d'une absence totale de communication entre les fédérations Nord-Flandres (sur laquelle il avait travaillé en 2006-2007) et d'Hénin-Beaumont et de l'étonnant manque de curiosité de ses recruteurs. Il donna ses vrais nom et prénom, sa véritable fonction (enseignant en faculté). Facilement repérable, il avait pourtant carte blanche. On lui avait même promis un poste au cabinet du maire en cas de victoire.
Prenant le train tous les jours depuis Lille, il participa activement aux collages d'affiches à 4h le dimanche matin, aux marchés du dimanche, aux tractages, aux séances de porte-à-porte, etc., tous les jours pendant trois mois. « Mon travail, c'est de tester les limites d'un terrain, d'un objet » aime-t-il répéter : voilà une situation qui n'est pas donnée à tout le monde pour tester les limites d'un parti comme le Front National, particulièrement pour un jeune chercheur.
Quelles leçons tirer de la campagne à Hénin-Beaumont ?
Les observations de Djamel Mermat durant l'élection municipale ont mis en évidence plusieurs caractéristiques dans la stratégie frontiste. Le FN fait face à d'importants soucis financiers et à des échecs électoraux à répétition. Il envisageait un retour sur la scène nationale au travers d'un laboratoire de gestion locale, à la manière des trophées de guerre que furent Marignane ou Vitrolles. A cet égard, Hénin-Beaumont était une cible toute trouvée : vivier ouvrier, campagne tardive du maire sortant (Gérard Dalongeville, Union de la gauche), aucune concurrence à droite (l'UMP y est quasi-inexistante).
Les supports de communication de la campagne étaient à la fois classiques et "modernes", mais criaient tous plus ou moins par leur amateurisme.
Steeve Briois, tête de liste, dans l'opposition depuis 1995, a effectué un lourd travail de terrain et espérait une triangulaire pour accéder au poste de premier magistrat. Son résultat (28 % au second tour et cinq sièges au conseil) est en contraste avec les moyens importants que le Front National a placé dans cette petite ville de 27 000 habitants.
Les supports de communication de la campagne étaient à la fois classiques (impression d'un tract différent par semaine pendant deux mois, distribués selon un quadrillage précis de 57 secteurs, affichages, marchés) et « modernes » (blog, clip-vidéo de 5 minutes), mais criaient tous plus ou moins par leur amateurisme. Ainsi, un questionnaire avait été rédigé pour évaluer les attentes des habitants. Il bénéficia d'un grand nombre de réponses, qui furent pourtant faiblement analysées.
Une personne s'intéressant, même de loin, à l'élection municipale d'une petite ville se rend rapidement compte du côté « artisanal » et de l'improvisation des diverses équipes. Le FN n'a bien sûr pas le monopole de cette caractéristique qui demeure néanmoins, étant donné l'enjeu des élections à Hénin-Beaumont, assez surprenante. Ainsi, le programme a été en partie conçu à partir de copier-coller de campagnes précédentes (du FN bien sûr, mais aussi du PS), et n'avait que peu de mesures réellement politiques.
Quid de la présence de Marine Le Pen ? Selon Djamel Mermat, elle était là en « représentation » : représentation car elle ne vit pas à Hénin-Beaumont (elle y montait trois ou quatre fois par semaine durant la campagne, partagée avec son siège au Conseil général d'Ile-de-France, représentation car son parachutage correspondait à la stratégie FN du « on met le paquet ».
La main droite du diable
Nous l'avons déjà dit, cette histoire sort de l'ordinaire. Elle rappelle celle de La main droite du diable, film dans lequel une inspectrice du FBI s'infiltre au sein d'un groupuscule d'extrême-droite (type Ku Klux Klan), se laissant progressivement prendre à son propre jeu.
Attention, le FN n'est en rien un groupuscule violent et illégal et la comparaison avec le film à ce sujet s'arrête là. Que ce soit le FN, la LCR, le PS ou l'UMP, dans tous les cas, il s'agit de partis légaux et non-violents, qui "concourent à l'expression démocratique du suffrage" (article 4 de notre Constitution). L'intérêt de la comparaison avec le film de Costa-Gavras est ailleurs.
Il s'agit d'une question que tout un chacun, en se mettant à sa place, se pose : dans quelle mesure doit-il apporter son aide à une équipe de campagne alors qu'il l'observe dans le même temps ? Sa propre action ne va-t-elle pas biaiser ses résultats ? A force de vouloir rentrer dans l'esprit du décideur politique, n'en est-il pas devenu un lui-même ? Même si Djamel Mermat a mis tout son professionnalisme dans l'établissement des faits et dans leur analyse, son histoire personnelle, ses racines, sa culture, son éducation ne se sont-elles pas heurtées, à un moment donné, à l'idéologie, au passé (voire au passif) de la formation d'extrême droite ?
Rien de telle qu'une rencontre directe pour sentir, découvrir et écouter ses réponses dans un domaine qui tient davantage du ressenti, du malléable que du certain ou du définitif. C'est pourquoi Djamel Mermat sera prochainement l'invité de Blog-Territorial Vidéo. Il pourra ainsi répondre à toutes les questions ou les réactions que vous aurez laissé dans les commentaires.
Nous laisserons également un droit de réponse, si elle le désire, à la fédération FN d'Hénin-Beaumont qui apprendra avec vous cette petite aventure. Alors, à vos claviers et rendez-vous dans une quinzaine de jours pour la suite !
Vous pouvez lire le droit de réponse de Steeve Briois
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